La Brique : N°47 - Été 2016 - Luuuuutte !
On a pris les magnétophones, passé la fan zone de Lille, et on est allé découvrir le dernier numéro de La Brique, le 47.
Les journalistes sans pub et sans pitié du journal La Brique nous présentent leur dernier numéro. Pour écouter cliquez sur les écouteurs => {mmp3ex}www-radio-campus.univ-lille1.fr/ArchivesN/LibrePensee/lbr160616.mp3{/mmp3ex}
Édito du N° 47 : La lutte est une fête
Mars 2016, le collectif de La Brique s’active sur un futur numéro « santé ». Une fois n’est pas coutume, on est moins à l’arrache que d’habitude. Mais dehors ça pète. La manif du 31 mars contre la loi travail, à Lille comme ailleurs en France, est un tournant : des milliers de personnes défilent, bien déterminées à établir un rapport de force face à un gouvernement sourd et méprisant. L’État abat son bras armé sur la place de la République lilloise, transformée en défouloir policier en quelques minutes. On ne peut pas rater ce mouvement. C’est dix ans plus tôt, à la suite du CPE, que notre canard est sorti de son œuf. Notre collectif décide de remettre le numéro santé à plus tard, pour se concentrer sur l’agitation sociale ambiante. . . .
Au sommaire du numéro 47 P.1 Une de Florent Grouazel
p.2 Édito. La lutte est une fête
p.3 Douchy-les-Mines, le barrage du peuple
p.4-5 Amphithéâtre Archimède occupé / Des apprentis pâtissiers réclament « leur part du gâteau »
p.6 Les intermittent.es ne lâchent pas la scène
p.7 Medef paie tes impôts
p.8 Interview des Pinçon-Charlot - La violence des riches
p.9 Des petits-bourgeois en action : délation et mesquinerie
p.10-11 Les deux du local CNT face au tribunal des flagrants délires
Les deux de la CNT, procès du 25 mai
p.12 De quelle violence parle-t-on ?
p.13 Les increvables Goodyear
p.14-15 Album souvenirs
p.16-17 La Voix de la Police, votre quotidien local
p.18-19 L’Université française, laboratoire de la précarité
p.20-21 Retour sur Nuit debout
p.22 « Á vos smartphones ! » (suite)
p.23 « Nous sommes sans ticket... et terroristes ? » de la Mutuelle des fraudeurs
p.24-25 La vraie démocratie, elle est où ?
p.26 En bref
p.27 Ateliers Populaires d’Urbanisme : Un toit c’est un Droit !
p.28 Bd d’Achille Blaster
Annie Cordy CRS
Jehan Jonas - Flic de Paris
La Voix de la Police, votre quotidien local
Le jour et la nuit. Le traitement par La Voix du Nord du mouvement social contre la loi travail est étonnamment favorable à son départ.
Mais dès qu'une vitrine est brisée, certain.es journalistes remettent leur bonne vieille laisse.
Avec plus d'une centaine d'articles, on ne peut pas dire que la Voix du Nord se désintéresse de la contestation. Mais faute d'une ligne éditoriale claire, les journalistes écrivent chacun.e dans leur coin, défendant leur point de vue au risque de contredire les articles de leurs confrères. L'information en direct via leur site est devenue leur faire-valoir, transformant leur plate-forme numérique en un BFMTV local. Le recul journalistique, le recoupement d'infos : pas toujours le temps, il faut pisser de la copie. De fait, il leur est plus facile d'appeler le commissariat que d'aller enquêter.
C'est que la VDN ne fait plus dans le journalisme d'investigation depuis longtemps (1). Le traitement des événements est plus proche du fait divers que du Pulitzer. Car celui-ci fait vendre et simplifie l'information pour que le lectorat ait facilement accès à une opinion tranchée sans avoir à se farcir une enquête. Défendre l'ordre établi, se conforter dans une vision normative de la société où rien ne doit dépasser. Une manif se doit d'être « bon enfant ». Comme dit leur journaliste Bernard Virel : « Il reste juste à espérer que les défilés se fassent dans les règles et le respect des opinions de chacun. Car dans tous les cas, la casse n’arrange rien ». Dès que ça déborde, c'est le ras-le-bol.
Ne pas informer, tout un métier
Dans le contexte de la lutte contre la Loi travail, les actions symboliques et non violentes s’enchaînent début avril : les interventions contre Martine Aubry lors de l'inauguration de l'expo universelle au musée des Beaux-Arts (2) ou à la gare Saint-Sauveur, l'intrusion (3) dans une réunion avec Hervé Mariton, le blocage (4) de la gare... Ces actions sont totalement passées sous silence dans la VDN.
Le 28 avril, une intervention (5) concertée à cinquante manifestant.es parvient à suspendre une banderole géante « Medef paie tes impôts » sur la façade de la cité administrative. Et les interluttant.es d'invectiver du haut du centre des impôts les entreprises fautives et les banques qui cachent des comptes au Panama. Pour la VDN (6), l'action se résume en : « La trentaine de manifestants qui occupait la Cité administrative vient de quitter pacifiquement les lieux. La manifestation reprend son cours ». Au lecteur de chercher le pourquoi du comment. Une autre action (7) a consisté à envahir les fast-food pour alerter sur les conditions de travail et l'exil fiscal. Mais expliquer que McDo est au centre de l'affaire Luxleaks pour évasion fiscale, à quoi bon ? Il semble plus important pour le journaliste Arnaud Dufresne de conclure qu'« il n'y a pas eu d'interpellation ». Comme un air de petit regret ?
Autre exemple, une tentative d'auto-réduction (8) a lieu le 9 mai au Match de Solférino. Pour Benjamin Duthoit (9) : « Au final, il n’y a pas eu de heurts et rien n’a été volé : les chariots ont été laissés sur place. Le magasin a aussitôt repris son activité normale. » Grande distribution, exil fiscal, lui non plus, ça ne lui dit pas grand chose. Mais il conclut tout de même par un témoignage dramatique : « En tout, ça a duré une quarantaine de minutes, précise Isabelle. J’ai eu peur, surtout avec ma fille ».
Des interluttant.es, tout juste chassé.es du Théâtre du Nord, viennent logiquement perturber une pièce sur la Révolution de 1789 en plein mouvement social. Le journaliste culturel Jean-Marie Duhamel (10) ne retient que : « On n’est pas persuadé qu’elle aura servi la cause tant s’y mêlaient maladresse et confusion, agression verbale, outrance quasi diffamatoire ». Les spectateurs avaient pourtant applaudi à tout rompre en soutien.
Des violences policières ?
Le 31 mars, une photo fait le tour des réseaux : un homme à terre est frappé par quatre policiers devant la mairie de Lille. La VDN met pourtant en doute la véracité des faits (11) : « Enquête de l’IGPN après des violences présumées sur un manifestant ».
Après la manif du 20 avril, les condés rentrent en force dans le local syndical de la CNT pour arrêter arbitrairement deux personnes. L'action fait la une du site du journal : « Deux arrestations dans le local de la CNT suscitent la polémique » (12). Pourtant l'article débute par un « selon la police » et se poursuit par : « Des individus ont commis des violences sur cinq policiers, aux abords du local de la CNT rue d’Arras ». Deux informations fausses dans une même phrase : les violences sont encore supposées et, en plus, auraient eu lieu rue de l'Hôpital militaire, soit un 1,7 km de là (13).
Le lendemain, la feuille de chou fait « le point » avec un titre (14) digne de la presse à scandale : « Manifestation contre la Loi travail à Lille : un journaliste et des policiers frappés ». En quatre paragraphes, les deux dudu, Dufresne et Duthoit, résument l'affaire et invoquent la nouvelle version de la police : « Des agents de la BAC ont voulu empêcher des individus de coller des affiches sur des bâtiments publics. Une trentaine de personnes les ont pris à partie. Ils ont été frappés et ont dû se réfugier dans les locaux de l’EGC » [École de gestion et de commerce]. Jamais ne sera mis en doute cet événement improbable au vu du dispositif policier disproportionné – un flic pour trois manifestant.es – ni émis le moindre soupçon sur la version de la police. Quant à la CNT, elle n'aura droit qu'à deux petites phrases pour s'expliquer. Paru le même jour, l'article d'Haydée Sabéran (15) peut leur donner quelques leçons de déontologie journalistique.
Des casseurs, en veux-tu ? En voilà
La suite : http://labrique.net/index.php/thematiques/histoires-du-bocal/811-la-voix-de-la-police-votre-quotidien-local
1. La Brique n°1.
2. On veut visiter l'expo ! », La Brique, 15/04/2016.
3. « Medef, Medef, Mes déf-icits ! », La Brique, 25/04/2016.
4. "El Khomri, un train de retard", La Brique, 04/05/2016.
5. "Medef paie tes impôts", La Brique, N°47
6. "Loi Travail: près de 4 500 personnes dans la rue à Lille ce jeudi après-midi", La Voix du Nord, 28/04/2016.
7."Un barouf contre la mal-bouffe", La Brique, 04/05/2016.
8. Il s'agit de remplir des caddies et de demander à la direction l'autorisation de partir avec le contenu.
9. "Lille : le Match de la rue Solférino envahi par une centaine d’individus anti-loi Travail", La Voix du Nord, 10/05/2016.
10. « Ça ira (1) Fin de Louis » au Théâtre du Nord, à Lille: 1789, allers-retours, La Voix du Nord, 11/05/2016.
11. "Lille : enquête de l’IGPN après des violences présumées sur un manifestant, La Voix du Nord, 12/04/2016.
12. « Lille : deux arrestations dans le local de la CNT suscitent la polémique », La Voix du Nord, 20/04/16.
13. "Les deux du local CNT face au tribunal des flagrants délires", La Brique, 22/04/2016.
14. « Manifestation contre la loi travail à Lille : un journaliste et des policiers frappés, mercredi », La Voix du Nord, 22/04/2016.
15. « Lille : la police défonce la porte du local de la CNT », Libération, 21/04/2016.
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